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LES DÉRACINÉS

l’État ; il a mission de donner la réalité de Français aux enfants nés sur le sol de France. Qu’est-ce, en effet, que la France ? Une collection d’individus ? Un territoire ? Non pas, mais un ensemble d’idées. La France, c’est l’ensemble des notions que tous les penseurs républicains ont élaborées et qui composent la tradition de notre parti. On est Français autant qu’on les possède dans l’âme… Sans philosophie d’État, pas d’unité nationale réelle. Quand vous en posséderez une, vous aurez tout à gagner de la diffusion d’un enseignement qui deviendra une vraie discipline morale…

Avec sa belle voix grave bien posée, son visage pâle aux traits nets et un peu durs, ses yeux noirs où l’on lisait une parfaite assurance, il parla pendant cinq minutes. Et il fut admiré par tous ces professionnels qui ne pouvaient être insensibles à l’accent, à l’autorité, à ce jeu qu’ils appréciaient en critiques dramatiques. Ils se penchaient les uns vers les autres pour s’informer de son nom. Unanimement ils approuvèrent sa manière ; mais sa thèse, qui flattait les passions de leur adolescence, précisément leur parut jeune, — c’est-à-dire d’un homme inexpérimenté, — parce qu’elle dépassait ce que les circonstances permettent.

Au bout des cinq minutes, s’il ne s’était tu, on l’allait trouver pédant et un peu gobeur. Mais qu’il est magnifiquement doué ! Comme un ténor qui chante l’amour devant des vieux cercleux, il a ramené tous ces messieurs à l’âge héroïque où le parlementarisme n’était éloquent qu’aux cafés Procope. Voltaire et de Madrid.

Le directeur du grand journal gouvernemental