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BOUTEILLER PRÉSENTÉ AUX PARLEMENTAIRES

La fête était pleine d’entrain. Un jeune député s’approchait d’un ancien ministre, du parti modéré, avec qui il venait de dîner et, au bout de cinq minutes, profitant du premier silence quand chacun vidait son petit verre, il lui disait :

— Monsieur, j’ai depuis longtemps des remerciements à vous faire… C’est vous qui m’avez fait entrer dans la vie politique.

— Comment cela ?

— On m’a proposé un jour pour le Conseil d’État et vous avez répondu : « Cette fripouille ! jamais !… » Le vieux « centre gauche » réfléchit un instant, et, lui tendant la main :

— C’est exact !

— Et voilà pourquoi, conclut gaiement le jeune député, j’ai dû choisir ce f… métier ! On lui fit un succès, en lui donnant de fortes tapes amicales sur l’épaule. C’est avec ces claques du plat de la main sur la chair que jadis on faisait réapparaître les marques du bagne dans le dos des vieux galériens.

Le café pris, le baron s’avança d’un pas, enfonça à la bonhomme ses deux mains dans ses poches, puis d’une voix forte :

— Et maintenant, messieurs, que ceux qui s’intéressent à notre chemin de fer viennent au fumoir !

Immédiatement un ministrable lui emboîta le pas, suivi lui-même de ses collègues, des directeurs de journaux et de l’entrepreneur.

Ils allaient causer des lignes du Var et de Digne à Nice, forte pensée que, dès cette époque, le baron mûrissait. Elles devaient nécessiter des travaux d’art importants sans fournir de trafic, parce qu’elles