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UNE ANNÉE DE LUTTES

exaspéré ; pour une goutte qui le rafraîchisse, il guette l’instant de saigner ses compagnons de navigation. En outre, il se dit : « Bah ! qui sait les raisons d’un succès ? Il y a le hasard !… » Voilà une phrase tout à fait misérable et qui suffit à dénoncer l’insuffisance, la veulerie, quand même, de ce cynique. Le hasard ! mais cela n’existe pas, et le concours des forces dont il est le pseudonyme nous sert seulement dans la mesure où nous les prévoyons. Nous devons pénétrer par notre analyse les ombres où habite cette puissance mal nommée et la soumettre à nos calculs.

— Trente-trois pour cent ! et sur l’ensemble des affaires !

Racadot s’essuya le front. Il supporta le coup ; mais ce qui restait en lui de croyance à l’amitié s’écroula.

Renaudin prit Racadot ou la victime des idéologues par la main et le mena sur le plan des réalités.

— Il y a deux ans, nous aurions trouvé une mensualité de 2,000 francs dans la première banque venue… Aujourd’hui, je ne vois que Panama. En tout temps ils donnent des allocations, et maintenant qu’ils préparent une émission pour septembre, ils seront encore plus coulants. C’est Marius Fontane qui est chargé de la distribution : je ne le connais pas, mais je veux moi-même te présenter au baron de Reinach, un des plus puissants financiers de Paris, que la Compagnie écoute beaucoup et qu’elle intéresse en première ligne dans tous ses syndicats d’émission.

En réalité, Renaudin, qui comptait bien frapper