Page:Barrès - Les Déracinés.djvu/345

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
335
UNE ANNÉE DE LUTTES

émissions même, les libéralités n’étaient pas suspendues.

C’était fort raisonnable à ces jeunes gens de solliciter par l’intermédiaire d’un financier considérable. La féodalité n’est pas morte : chaque puissant a sa clientèle qu’il domestique et qu’il défend.

Reçus par le baron de Reinach, les deux novices développèrent leur boniment. Renaudin disait le journal lu par tous les jeunes gens.

— Ils n’ont pas d’économies, — répliqua le baron avec le sourire du grand escrimeur qui de sa parade fait en même temps une leçon pour le débutant.

— Nous allons aussi dans les petits ménages universitaires ! ajouta hâtivement Renaudin, mortifié de sa faute.

Un publiciste et un financier, s’ils discutent une subvention, doivent être interprétés comme deux adversaires qui ferraillent. Et quand, malgré une brillante défense, le journaliste parvient à toucher, ils se serrent la main et s’estiment. Reinach, à tâter une épée aussi inexpérimentée se trouvait diminué. Tout en causant, il parcourait, avec négligence, quelques numéros de la Vraie République.

— Vous avez vingt-cinq ans, et il n’y a pas là une seule pornographie ! Seriez-vous naïfs ?

Il feuilleta encore, puis reprit :

— Premièrement, je ne suis pas conseil autorisé de la Compagnie ; et en outre, nous n’aidons que celui qui peut l’exiger. C’est ce que vous n’êtes pas en mesure de faire.

— Baron, dit Renaudin, allez-vous pour cent louis vous faire un ennemi ?