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UNE ANNÉE DE LUTTES

aux forces existantes. Les métaphysiciens, les moralistes en chambre agencent des mots auxquels ils ne demandent que d’être conformes aux définitions du dictionnaire ; par leurs fenêtres fermées sur la vie, nulle poussière ne peut pénétrer jusqu’à eux ; et, d’autre part, les serfs, les fellahs, les éternels soumis, s’ils sont couverts de poussière, ont le droit de penser devant Dieu et devant les hommes : « Je ne dois pas être tenu pour souillé, car à travers les siècles toujours j’ai subi et jamais je n’ai pris une résolution. » Mais ceux qui agissent, qui assument des responsabilités !… Les nécessités de leur action les empêchent de demeurer irréprochables ; même ils ne se bornent pas à coudoyer les pourris, ils collaborent avec eux, les ménagent et les sollicitent.

Au 1er  octobre, Sturel abandonna la rédaction en chef, ne vint plus aux bureaux du journal, mais envoya toujours des articles. Le dîneur qui lui avait si fort déplu fut installé avec le titre de secrétaire général à la place de l’administrateur qu’on expulsa. Cette brillante recrue multiplia les démarches auprès de tous les grands établissements financiers, compagnies de chemins de fer, messageries maritimes, etc. Après huit jours de vains efforts, toujours optimiste, il dit à Racadot :

La Vraie République n’est pas prise au sérieux : il faut la faire valoir.

Moyennant quelques pièces de vingt francs, il obtint des indiscrétions d’employés et publia une série d’articles contre diverses maisons de crédit. Racadot paraissait regretter ces dépenses, qui demeuraient sans résultat.