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LES DÉRACINÉS

langue. Le directeur d’un journal a une carte de. pesage qui trouve acquéreur pour 1,500, voire 2,000 francs. On peut aussi négocier les permis de chemin de fer. Lors d’une exécution capitale, Racadot parvint à placer pour 100 francs deux billets de presse donnant le droit d’approcher de la guillotine. Aussi le journal se déclarait, en toute circonstance, partisan de la peine de mort.

Au milieu de ces vilenies et mesquineries mêlées, Sturel, Saint-Phlin, Rœmerspacher, Suret-Lefort, avec le délicieux égoïsme des idéalistes, poursuivaient leurs constructions abstraites. Ils étaient disposés à tenir Racadot comme engagé envers eux. Et lui, de leur quiétude ressentait une haine accrue par son impuissance à la leur témoigner.

Le journal les avait rapprochés de littérateurs connus, dont ils ne tirèrent pas d’agrément sérieux. Ces messieurs, même habiles et déliés dans leur art, leur parurent grossiers : il faut aimer si sottement la notoriété pour l’obtenir ! Dans une même époque beaucoup d’individus sont intéressants à observer, en tant que spécimens rares, comme des monstres enfin, mais trois ou quatre au plus peuvent nous donner de l’exquis ou une excitation héroïque ; ceux-là ont des habitudes de méditation et ne se prêtent pas aux connaissances hâtives.

En réalité, de leur collaboration à la Vraie République, Rœmerspacher et Sturel retirent cet avantage qu’à détacher d’eux-mêmes des idées pour les insérer là, ils se fortifient, — comme un fraisier cueilli, élagué, taillé, fructifiera d’autant plus, — mais ils ne trouvent point dans ce journalisme sans but un mobile à leur activité. Le centre de Rœmerspacher