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UNE ANNÉE DE LUTTES

devient plus que jamais l’école des Hautes Études ; Sturel se replie sur les souvenirs d’Astiné, et, par reflet, sur mademoiselle Alison ; Suret-Lefort, chaque jour plus affamé d’applaudissements, ne voit dans l’univers qu’une vaste « Molé ». — Quant à Saint-Phlin, en plein hiver il regagna la Lorraine, à la suite d’une crise sentimentale où l’on trouve un mot de Mouchefrin qui, tombé dans un coin de café, demeure pourtant le témoignage le plus grave contre ce mauvais homme.

Il faut savoir que Saint-Phlin n’avait pas beaucoup d’usage des femmes. Il s’était épris d’une petite créature blonde nommée Mauviette. C’était une Alsacienne du territoire de Belfort, très soumise parce qu’elle avait été débauchée et formée par un gros commerçant, qui jugeait que celui qui paie a le droit d’imposer sa discipline. Quand elle fut si malade que ce négociant l’abandonna et après une période d’absolu dénûment, — car elle ne pouvait songer à retourner dans son honnête village alsacien où sa mère d’ailleurs était morte et son père remarié, — avec quelle ardeur tendre cette fille de vingt-quatre ans s’attacha à Saint-Phlin ! Ardeur de phtisique et tendresse d’Alsacienne pour un jeune homme aimable, presque son compatriote, qui succédait à un bourru. Avant que Saint-Phlin se fixât et quand il fallait bien manger, coucher, fut-elle un peu commune à ces jeunes gens ? Ils ne savaient plus au juste qui d’entre eux l’ayant rencontrée l’avait menée dîner avec toute la bande, puis le soir au café, où elle revint durant une quinzaine. Il est certain qu’elle se préoccupa d’isoler Saint-Phlin quand elle fut son amie. Mais quoi ! elle avait le goût de la lecture, une