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LES DÉRACINÉS

religion assez poétique et le pressentiment de la mort, et si quelques-uns la connurent, elle n’apparut avec ces qualités-là, c’est-à-dire vraiment elle-même, qu’au seul Saint-Phlin. Ils, passèrent des jours et des jours, tantôt ravis, tantôt désespérés, à chercher dans le silence, l’un à côté de l’autre, le moyen d’éviter à leur amour le chemin du cimetière. Le jour vint pourtant que le pauvre amant y conduisit son amie. Il en revint vieilli, les yeux aisément pleins de larmes, insensible aux questions qui naguère lui semblaient essentielles, enfin plus du tout un adolescent, mais démoralisé par l’effacement de cette gentille servante.

Or, un soir de décembre qu’il était venu au café et que son silence gênait, apitoyait Rœmerspacher, Sturel, Renaudin même, Mouchefrin, lui, par goût de l’infamie, l’interpella :

— Tu sais, Saint-Phlin, ta Mauviette ? il ne faut pas non plus que tu t’exagères les choses… Moi… moi…

— Je le savais, — répliqua Saint-Phlin pâlissant, qui prit son chapeau, sortit, s’en alla jusqu’à Varennes.

Tous se levèrent, laissant là Mouchefrin.

Ces messieurs ont bien du loisir d’avoir tant de délicatesses ! Quand Racadot met la main sur son cœur, il constate combien s’amincit la liasse de ses billets de mille.

On n’est vaincu qu’au jour où l’on s’avoue vaincu ! voilà l’exacte formule. Il espère envers et contre tous. Non par sottise, mais parce qu’il découvre toujours une issue et, immédiatement, y marche. Il est parvenu à s’assurer un certain nombre de mensualités. Le défaut de ce provincial est dans l’évalua-