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QUINZE JOURS DE CRISE

Un flot de bile envahit la figure de Racadot. Il dit tout haut :

— Seuls me demeurent Mouchefrin et la Léontine… pour que je les nourrisse !

De quel accent, ces derniers mots… Parcourant son bureau, il écoutait en lui les retentissements de son désastre. L’oppression de son âme fut telle que de grosses gouttes de sueur perlèrent sur son front. Il ne pouvait résister au besoin d’exprimer tant d’arguments qui montaient de son cœur resserré vers son père. Il écrivit pendant une heure.

« Mon cher père, ta dernière lettre est un peu sévère et pleine de reproches. C’est pour m’installer définitivement que je te demande de l’argent. Sois assuré que je serai bientôt à même de t’envoyer de l’argent à mon tour. Crois-tu que je ne serai pas heureux quand je pourrai te rembourser par acomptes tout ce que tu as dépensé pour moi ? Ces 10,000 francs que tu m’enverras me permettront d’en gagner d’autres. Tu dis qu’à Paris on se débauche : pourtant, pas plus qu’ailleurs. Je ne doute pas un seul instant de la réussite ; je t’envoie un numéro du Rappel où l’on a discuté la Vraie République : par de tels succès, tu vois que la somme que je te demande ne sera pas difficile à rembourser. Ne crains pas que je fasse des excès de boisson. Mon principe est que tout homme qui boit s’abrutit. Je saurai tenir mon rang. Tu n’avais pas les ressources que j’ai ; ta conduite et surtout le travail t’ont fait prospérer et amasser quelque chose ; je t’imiterai.

« Je viens de recevoir la visite de ma vendeuse. Elle est comme bien d’autres, et surtout des femmes :