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LES DÉRACINÉS

— Non, Racadot, c’est impossible. Écris encore à ton père.

— Mon père se moque de moi. Ce qu’il faut, c’est l’argent et les bijoux de madame Aravian. Je te ferai une situation…

— Tu es seul enfant, il est riche : à ta place, par tous les moyens possibles, j’arriverais à bout de ton père. C’est dur à la détente, ces vieilles gens de la campagne, mais, puisque l’argent y est, avec du drame et des promesses, tu le feras sortir.

— Antoine, va savoir à quelle heure elle s’absente… Ne pourrais-je pas monter chez elle, tandis que tu occuperais les deux domestiques à l’office ? Rien qu’avec une de ses perles, je payerai le journal, l’appartement, j’éviterai la faillite. Elle ne remarquera même rien et plus tard on pourrait la remettre…

Quand Mouchefrin parut consentir, Racadot lui sauta au cou en s’écriant :

— Tu me sauves la vie !

Au matin de ce 18 mai, et tandis que son camarade se rendait chez Astiné, Rocadot allait prendre son courrier. Une lettre de son père ajoutait à sa sensation d’être hors l’humanité :

« Mon cher Honoré, Je trouve encore ton écriture. Tu me dis qu’il te faut une dépêche pour midi. C’est donc bien pressé tes affaires ! Tu as donc traité avec de mauvaises gens ! Quand on cède un journal, ce n’est pas pour le détruire. Je ne comprends rien à tes histoires : c’est de l’argent, de l’argent qu’il te faut… On te roule et tu dois t’en apercevoir, parce qu’ils te tourmentent trop. Tu t’es mis dans les gazettes trop jeune. Je t’avais offert de quoi le