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QUINZE JOURS DE CRISE

rendre heureux avec ta place de clerc, et puis avec tes quarante mille francs ; mais je ne veux même pas répondre quand tu me proposes de m’engager pour toi. Si tu étais resté à Toul ou à Pont-à-Mousson, j’aurais quarante mille francs que je n’ai pas et cela nous ferait douze cents francs de rente. Fais donc pour le mieux, je t’en ai donné assez. »

Pour répondre, Racadot alla chez l’imprimeur qui avait recueilli la Vraie République :

« Tu me dis carrément, et tu en as l’air joyeux : « Si tu as des frais, c’est de ta faute ». Je ne m’attendais pas à pareille réponse de la part de mon père. Toi qui avais pris mes intérêts jusqu’à ce jour, je vois que tu m’abandonnes I Pourtant, je ne t’ai rien coûté, puisque j’ai été élevé avec l’argent de ma pauvre mère, qui m’appartenait. Jamais tu n’as dépensé pour moi, et pendant six années mes quarante mille francs t’ont profité. Tu ne poursuis même pas ceux qui te doivent, et tu me laisses poursuivre, moi ! J’étais bien loin d’avoir sur toi une pareille opinion. Voilà comment je n’agirais pas envers toi. Et les parents de mes amis du lycée non plus ne se conduiront jamais si durement envers leurs fils.

« On va me déclarer en faillite et m’enlever mon journal. Que devenir, alors ? Tu ne seras pas plus longtemps insensible à ma prière, mon père. Donne-moi dix mille francs ; si tu veux, oublie-moi ensuite, je me considérerai comme n’ayant plus de père. Tu te diras : « Que mon fils devienne ce qu’il plaît à Dieu, j’ai fait ce que je devais faire. »

« Tu ne penses dans toutes tes lettres qu’à me