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LE LYCÉE DE NANCY

qui, moins favorisés par la naissance, sont redevables de leur instruction à l’initiative de la société. Elle n’a fait qu’obéir à la justice : l’héritage amassé par l’humanité pensante n’est point le privilège de la fortune ; sur ce fond social, chacun possède un droit égal et complet ; mais la situation de ceux qui en profitent leur commande un dévouement particulier à la République… Messieurs Renaudin et Mouchefrin, ne soyez pas effrayés par la vie. Rien n’est interdit à l’honnêteté et à la persévérance. Je me glorifie, si modeste que soit mon rôle, d’avoir été appelé à le tenir après avoir été moi-même un boursier. Ce m’est une raison pour m’intéresser spécialement à vous deux. Ne pouvant pas serrer la main de tous vos camarades, c’est à vous, Messieurs, que je veux donner, dans ce dernier et pénible moment, une cordiale poignée de main.

Vit-il une déception ? Comprit-il qu’il leur apparaissait comme le vainqueur du monde et leur offrait peu ? Agitant son chapeau et serrant sa serviette sous le bras, toute la classe debout, il fit à ces enfants une chaude allocution sur sa confiance qu’ils se conduiraient toujours en serviteurs de l’État et en braves Français.

Ah ! oui ! c’étaient bien des Français, ces adolescents excitables ! Il suffit de les voir, avec leurs doigts tachés d’encre, leurs humbles vêtements de travail, leurs mentons à poils mal soignés, tout émus, électrisés par l’éloquence aimée et par la grande autorité du jeune maître :

— Vive la France ! Vive la République ! crient-ils d’une voix unanime.