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LES DÉRACINÉS

chefrin qui la guettaient. Elle allait surprendre à leur hôtel des amis pour les mener au théâtre. Un oiseau, un lophophore, vert et bleu, de ses ailes repliées, la coiffait. Sur une robe de dentelle noire, ouverte en carré et dont les manches venaient au coude, elle avait une jaquette de velours à côtes, de nuance tourterelle. La jupe de dessous à volants était relevée de loin en loin par des nœuds jaunes, tandis que des nœuds jaunes encore ramenaient sur la hanche gauche la jupe de dessus. La ceinture était jaune, et les longs gants de Suède, selon la grande mode de 1885, de couleur bois clair et parfumés au bois de Liban. Troublés par cette harmonieuse créature, ils surent pourtant lui proposer et lui faire accepter une excursion comme elle les aimait, sur la berge de Billancourt. L’idée d’errer la séduisait plus qu’aucune amitié et que nul spectacle. Pour qu’elle ne prévînt personne, Racadot la mit lui-même en fiacre et s’assura qu’elle indiquait au cocher le Pont de Neuilly, lieu convenu du rendez-vous. Prétextant, pour ne point l’accompagner, qu’ils avaient à s’informer d’une adresse, ils gagnèrent le but séparément, par le train de petite ceinture et le tramway Porte-Maillot-Courbevoie.

C’était dix heures passées quand elle descendit de fiacre et apporta son mystérieux et complexe enchantement sur le quai où viennent aboutir les profonds jardins des maisons de Saint-James. Dans cette nuit et ce silence, ils l’abordèrent en s’arrangeant pour cacher leurs figures au cocher. La masse sombre des arbres dans l’île de Puteaux se penchait, en frissonnant, vers elle au-dessus de la Seine.

Ils marchèrent vers Sèvres et Saint-Cloud, en lon-