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LA MYSTERIEUSE SOIREE DE BILLANCOURT

maintenant encore les rejoint sur cette longue berge de la Seine… Supplie ton amante, jeune homme changeant et sincère ! à genoux, ton bras passé autour de son corps, au bas de sa taille, sur ses fortes hanches, ta main gauche tendue vers ses yeux, vers le ciel inexploré. Les arbres aussi vont vers le ciel, et son espoir, ses incertitudes aussi. Veux-tu qu’elle se donne ? Es-tu celui qui peut quelque chose pour son bonheur ? Jeunesse, amour, déchirantes minutes !… Et sous ses mêmes arbres, sur ce même sable qui crie, la fuite des assassins emportant une belle tête sanglante, des perles et des turquoises.

Bien que François Sturel en prenne une conscience peu nette, ce qu’il aimait de madame Aravian, c’était son âme, sans doute, sur son visage, mais ses perles aussi, ses turquoises, son luxe, le parfum de ses vêtements, toutes les grâces et la mollesse d’une femme qui sait se faire servir. Précisément, elle vient de périr aux mains des serfs à cause de ses perles et turquoises que veut vendre Racadot, et à cause du parfum qui irritait Mouchefrin. Tout à l’heure, Sturel l’a laissée au fossé pour ne pas déplaire à sa nouvelle amie dont le luxe, le parfum, les grâces et la mollesse, ce printemps, l’ont conquis. Racadot, maintenant, court vers la Léontine comme une bête qui rapporte une proie à sa femelle : car, pour cette compagne, il est excellent. Mouchefrin court à côté, suivant les événements, comme le chien du troupeau galope auprès des moutons, et, la langue hors de la bouche, collabore aux desseins obscurs du berger.

Quant à nous, dans cette soirée, pourquoi perdre