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LA VERTU SOCIALE D’UN CADAVRE

vengeances, la chose atroce accomplie. Seulement, ce n’était plus en voluptueux méprisant comme le lui avait conseillé l’Asiatique, mais en métaphysicien qui ne trouve de repos qu’à envisager les choses sous leur aspect d’éternité ; non en sceptique, mais en croyant qui ne donnera pas aux détails la valeur qu’il réserve au tout, dans lequel chaque homme se justifie par sa nécessité.

Sturel, vers minuit, revint au café Voltaire, et dit à Rœmerspacher, à Suret-Lefort :

— Je désirerais avec vous, de ce pas, aller chez Mouchefrin.

— Non, dit Rœmerspacher, je suis un homme social : je ne connais plus ce bandit. Si ton secret m’appartenait, Mouchefrin coucherait au Dépôt.

Sturel décida Suret-Lefort à l’accompagner.

Il était deux heures du matin. Ils montèrent jusqu’à la rue Saint-Jacques : Racadot, le soir de la conférence, avait donné au jeune avocat son adresse. Ils sonnèrent. Une voix demanda, du premier étage :

— Qu’est-ce que vous voulez ?

— Monsieur Mouchefrin.

— Oh ! pour monsieur Mouchefrin, c’est trop tard.

Suret-Lefort dit :

— Nous donnerons vingt sous.

La fenêtre se referma. Au bout de quelques minutes, on ouvrit la porte. Sturel paya. La femme dit :

— C’est au cinquième, à gauche.

Elle leur prêta un morceau de bougie. Ils gravirent