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LES DÉRACINÉS

un escalier interminable, humide, avec une corde ignoble qui frémissait au milieu : un vrai puits de misère.

Au cinquième, à gauche, Sturel frappa une première fois : rien ne répondit. Une seconde fois : rien encore. Une troisième…

— Qui est là ? dit un souffle.

Suret-Lefort qui méprisait durement les vaincus et qui goûtait les plaisanteries professionnelles, répondit en déguisant sa voix :

— Ouvrez, c’est le commissaire !

Dans le silence, Sturel crut entendre les battements du cœur de Mouchefrin. Il ressentit comme l’effroi d’un sacrilège à forcer ainsi la conscience de leur ancien ami. La clef tourna, et puis quand ils entrèrent, dans l’espace d’une seconde, à la lueur de leur bougie levée, ils eurent un inoubliable spectacle de misère humaine.

Mouchefrin était debout au milieu de la chambre, en chemise, — une pauvre petite chemise, si mince, et touchant à peine à ses genoux. — Il grelottait, le nain, quoiqu’on fût en été ; mais tant de privations et ses dernières terreurs, l’avaient anémié, réduit à ce misérable squelette. Ah ! la pauvre bête féroce ! Ils le virent trembler comme la flamme de leur chandelle sous le courant d’air du palier. Puis il les reconnut. Il s’assit et, le cou en avant, se reprit par trois fois pour dire seulement : « Quoi ? » avec l’accent hideux d’un corps désorganisé par la peur.

Une peur qui, depuis le 21 mai jusqujà ce 31, n’avait pas cessé de grandir ! Madame Aravian n’avait pas refroidi que déjà Mouchefrin regrettait son affreuse misère précédente, dont s’accommodait à la