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LA VERTU SOCIALE D’UN CADAVRE

éléments de la montagne sainte qui nous donnerait le salut alors même que les parties basses de notre territoire ou de notre esprit seraient envahies par les Barbares. Appliquons-nous à considérer chaque jour la patrie dans les réserves de ses forces, et facilitons-lui de les déployer. Songeons que toute grandeur de la France est due à ces hommes qui sont ensevelis dans sa terre. Rendons-leur un culte qui nous augmentera.

Rempli de ces sentiments que la magnifique cérémonie civique devrait mettre dans toutes les âmes Sturel, sous la douce lumière de Paris, se débarrasse des sombres images de sa nuit. Aux Champs-Elysées, la veille au soir, il n’avait que des rêveries de cimetière, une vision mal ordonnée du faible et confus troupeau humain. Maintenant le mot de Rœmerspacher lui revient : « Je suis un homme social. » À marcher tout le jour avec la France organisée, avec les pouvoirs élus, avec les gloires consacrées, avec les corporations, il a distingué la grande source dont sa vie n’est qu’un petit flot. Entraîné parmi ces ondes humaines dans le sillage du génie, il s’est aperçu que leur bon ordre et leur honneur ne lui étaient pas des choses indifférentes, extérieures, et qu’en les supprimant on eût, ce lundi 31 mai, anéanti son âme même. Une circonstance si belle et si rare, qui faisait évidente l’unité de ce pullulement de Français, lui permit encore de saisir d’autres lois : dans ce cortège, chacun maintenait une discipline, en exigeait une, parce que c’était l’intérêt de chacun. — Pourquoi Racadot, Mouchefrin n’ont-ils pas senti qu’eux aussi profiteraient à se conformer aux règlements de la collectivité ? — Mais cette multitude, le long des im-