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DÉRACINÉ, DÉCAPITÉ

convoquées à titres divers le traversent quand, de la galerie où elles faisaient les cent pas, les huissiers les appellent pour les introduire auprès du magistrat. Dans ce couloir obscur et sans air, se promènent les malheureux déjà arrêtés. Dans le couloir lumineux, beaucoup d’individus qui ne tarderont pas à l’être. Celui-ci, qui circule encore en liberté, dit de celui-là, qu’il entrevoit flanqué de deux municipaux : « Voilà comme je serai peut-être dans cinq minutes !…

Un physiologiste qui pourrait examiner à l’improviste ces deux promeneurs, trouverait sans doute chez l’hôte du couloir lumineux des désordres plus graves du cœur et de la circulation que chez l’hôte du couloir sombre. Plus le danger est indéfini, plus l’angoisse est forte. Mouchefrein était anéanti. Et lui aussi, comme avait fait samedi Racadot, il cherchait à donner bonne opinion de soi à l’huissier : il se plaignait humblement d’attendre.

— Patience ! patience ! lui disait l’homme, n’ayez pas peur, vous le verrez.

Mouchefrin était rempli de haine contre cet impassible dont le « Patience ! Patience ! » le pénétra si bien d’épouvante que ses courtes jambes arquées flageolèrent ; il dut s’asseoir sur la banquette de bois fixée le long du mur. Et là une pire terreur le glaça, quand, à travers les vitres entre-bâillées pour aérer le couloir sombre, il distingua, dans son dos même, Racadot entre deux gardiens : — Racadot assis à un mètre, sur une banquette de chêne qui suivait l’autre face du mur où il s’appuyait, lui, Mouchefrin ; Racadot avec un sale collier de barbe renaissante, pas peigné et ses vêtements si sales ? Pourquoi donnait-il l’impression de quelqu’un qui vient d’être arrêté