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LES DÉRACINÉS

Suret-Lefort rejoignit Mouchefrin. Déjà, la veille, — il y a relâche au Palais le lundi, et c’est bon pour Sturel de s’éterniser à un enterrement où il n’a pas de rang officiel, — l’avocat avait passé la journée avec son misérable client, avec la Léontine, avec Fanfournot. Sans leur demander d’aveux ni de dénégations, il leur disait :

— Que faisait Racadot, le soir du crime ?… Tous trois vous affirmez qu’il était avec vous ? C’est bien cela qu’il répondra au juge d’instruction ? Oui. eh bien ! rappelez vos souvenirs, mettez-vous d’accord sur chaque détail. Quoi qu’on essaie de vous faire déclarer, ne sortez pas de ce récit-là.

Comme un bon témoin à son ami novice, dans la voiture qui les mène au lieu du combat, ne saurait trop répéter : « Tendez le bras ! Sous aucun prétexte, ne pliez le bras ! Vous m’entendez bien, quoi qu’il arrive, toujours le bras tendu ! » — le mardi, Suret-Lefort, qui venait de quitter Bouteiller, répétait à Mouchefrin, pour la centième fois, en montant, vers midi, l’escalier des juges d’instruction :

— Tiens-toi à ton récit ! Tu me comprends ! Sous aucun prétexte, n’en sors !

Sur cette suprême recommandation, il le laissa pour retourner chez Bouteiller et savoir s’il avait l’autorisation d’approcher Racadot.

Le couloir où se promenait Mouchefrin est doublé d’un corridor parallèle, auquel il donne du jour par des fenêtres à verre anglais. Les deux, en réalité, ne font qu’une même galerie divisée par une cloison dans le sens de sa longueur. Sur ce second couloir, toujours empesté d’un bec de gaz, ouvrent les cabinets des juges d’instruction : toutes les personnes