Page:Barrès - Les Déracinés.djvu/494

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
484
LES DÉRACINÉS

jours quand on peut devenir ministre ! » Ils citeront cent hommes d’État aussi dépourvus et qui surent y remédier… Il faudrait connaître le pourcentage de ceux qui précisément se perdirent par leurs expédients pécuniaires. Et ceux qui surnagèrent, les triomphateurs, acceptèrent plus de choses vulgaires, ennuyeuses, vilaines et faites pour blesser notre délicatesse, qu’il n’en subsiste dans leur biographie.

La vie est une brutale. Nul n’est contraint de se donner à la politique active, mais celui qui s’en mêle ne crée pas les circonstances ; on n’atteint un but qu’en subissant les conditions du terrain à parcourir. Quels moyens Bouteiller a-t-il de faire de l’argent ?… Souvent un parti politique possède une caisse électorale. Il la remplit par des ventes de services, s’il occupe le pouvoir, ou par des ventes d’espérances, s’il est dans l’opposition. Mais solliciter l’aide d’un parti, c’est s’engager envers un chef. Bouteiller entendait débuter au Parlement en toute liberté. Certes, il eût été fort beau qu’un patriote, partageant les idées de l’éminent professeur, le dotât du nécessaire. Mais à un tel patriote, il faut généralement offrir, par bonne réciprocité, une croix de la Légion d’honneur, et c’est le moindre article d’échange dans les opérations des parlementaires.

Bouteiller, avec ses habitudes de travailleur, répugnait à admettre que l’argent ne fût pas représentatif d’un travail réel. Aussi était-il prédisposé à préférer, entre tous les expédients, la combinaison que lui ménagea le baron Jacques de Reinach. Il prit en main l’organisation de l’enthousiasme pour la Compagnie du Panama.