Page:Barrès - Les Déracinés.djvu/57

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
47
DANS LEURS FAMILLES

opinions conservatrices, il éleva son fils dans la haine des opportunistes ; peu à peu, il vit les réactionnaires eux-mêmes se ranger, comme c’était fatal, avec la magistrature. Maintenant, il ne rêve plus que d’envoyer Georges à Paris, où l’on échappe au petit esprit et à la tyrannie de la province.

Ce qu’il y a d’étonnant chez Georges Suret-Lefort, c’est qu’il termine toutes ses phrases. Cette qualité se rencontre assez fréquemment chez de jeunes Parisiens. À dix-huit ans, chez un collégien de l’Est, elle est rare. Oui, ce grand garçon aux cheveux châtains, de bonnes manières, d’intelligence précise, va jusqu’au bout de ses périodes, toujours, et avec un rare aplomb. Élancé, un peu raide et pourtant agréable par un joli air de bête de proie, il semble frêle, mais à bien l’examiner, il a des bras énormes. La ville d’Oudinot, le maréchal aux trente-quatre blessures, et du maréchal Exelmans, le cavalier épique, a surtout produit des soldats. Une salle du musée est pleine de leurs portraits, souvent, faut-il le dire, des figures tristes et résignées de fonctionnaires. Suret-Lefort est autrement combatif et vaillant que la plupart de ces militaires. D’ailleurs, pour un jeune homme qui veut agir, que propose aujourd’hui l’armée ? Son volontariat terminé, il courra aux vrais champs de bataille. Les habitués du Café des Oiseaux n’admettent pas les mérites qu’ils envoient à Paris, mais ceux qui leur en viennent.

Henri Gallant de Saint-Phlin habite à mi-chemin de Bar-le-Duc et de Verdun, en pleine campagne, près du village de Varennes (Meuse) et dans un monde de grands propriétaires terriens. On y évoque les