Aller au contenu

Page:Barracand - Un monstre, 1887-1888.djvu/5

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.




Léon BARRACAND
~~~~~~~~~~


UN MONSTRE





Elle entra comme à l’ordinaire, sans sonner, avec la petite clef de l’appartement qu’elle avait depuis les premiers jours, pour n’être pas obligée d’attendre dans l’escalier.

Raymond allait sortir. Il ne l’en accueillit pas moins d’un air empressé. Il était fort tranquille, se sentant sans reproche, puisque sa demande n’était pas faite. Rien d’ailleurs n’indiquait que Mme Daveline vînt dans un autre but que les motifs accoutumés. Seul, le long regard qu’elle dirigea sur lui et qu’il ne remarqua pas aurait pu faire soupçonner quelque arrière-pensée.

Elle dit, en ôtant ses gants et sans le quitter des yeux :

— Je craignais de ne pas vous trouver.

— Pourquoi donc ?

— Vous auriez pu être chez Mme Brémont.

Il la regarda et crut sentir venir l’orage. Au mince sourire qui glissa sur les lèvres de Claire, il n’eut plus de doute. « Allons ! se dit-il, il paraît que c’est le moment… » Et, fronçant les sourcils, il fit quelques pas en rond par la chambre, vint s’adosser à son bureau, et, là, relevant le front et assurant son regard :

— J’y vais quelquefois, dit-il.

— Très souvent, mon cher ami, et je ne vous en fais pas un reproche.

Cette réponse l’avertit que la scène ne tournerait pas au tragique. Il la voyait souple, douce, accommodante. Il fut soulagé d’un grand poids.

Elle s’était assise, les coudes sur les bras du fauteuil, les doigts allongés devant elle, qu’elle frappait par petits coups les uns contre les autres. Ainsi installée, le dos remplissant le creux du siège, elle reprit, après un court silence :

— Vous voulez donc vous marier, mon ami ?… Allons ! soyez franc ! vous voyez bien que je ne vous en veux pas.

Le ton était exempt d’amertume, et il comprit qu’il pou-

Anthologie Contemporaine.
Vol. 49. Série V. (No 1).