Page:Barracand - Un monstre, 1887-1888.djvu/6

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vait tout avouer. Pourtant une réponse nette lui sembla devoir être choquante, et il voulut y mettre des formes.

Il s’approcha d’elle, le visage contrit, l’air suppliant.

— Ecoutez-moi, Claire ! et pardonnez-moi… Vous savez si je vous ai aimée !… Mais, vous l’avez senti vous-même, cet amour, qui faisait ma joie, mon orgueil, ne devait cependant pas toujours durer… J’ai éprouvé tout à coup le besoin d’asseoir ma vie. Peut-être en êtes-vous la cause par le bonheur que vous m’avez donné. Oui, c’est auprès de vous, en vous aimant, que l’envie m’est venue d’un intérieur paisible… Mais pourquoi vous accuser ? Il ne faut s’en prendre ni à vous ni à moi de la fragilité des sentiments… Nous sommes ainsi… Nous ne nous brouillerons pas…

Il surveillait tout en parlant la physionomie de Claire, et, n’y voyant aucun signe de douleur ni d’attendrissement, aucune colère ni aucune peine de cet amour dont il lui annonçait la fin, il fut heureux qu’elle prît si bien les choses. Il continua :

— Non, nous ne nous brouillerons pas, et, s’il est des circonstances… si, en ce moment même, j’avais ce bonheur… que vous eussiez à mettre ma reconnaissance à l’épreuve…

Il abordait le point délicat, et, avec une galanterie chevaleresque, voulait lui faciliter les voies. Elle se taisait, ne faisant pas semblant de comprendre. Mais elle constatait quand même avec plaisir ces dispositions généreuses.

— Enfin, dit-il pour conclure, vous pouvez compter sur moi… vous pouvez, dans la mesure que vous fixerez vous-même, tout attendre de ma gratitude. Un amour comme le nôtre, ma chère Claire, n’est pas un amour ordinaire… Il m’en restera toujours au fond du cœur un souvenir flatteur, rare…

Et il s’arrêta, pensant en avoir assez dit, et content en lui-même d’avoir mené à bien sa petite harangue.

Claire réfléchissait. Elle avait écouté avec attention. Elle voulait peser chaque mot de sa réponse. Elle commença d’une voix tendre, un peu plaintive :

— Mon ami, quelque pénible que soit ce que je viens d’entendre, je vous remercie… Si le coup que vous me portez est cruel, vous savez l’amortir en me parlant de votre reconnaissance. Les choses du cœur sont tout pour moi… Je vous ai toujours voulu heureux. Ne vous étonnez donc pas si j’accepte avec tant de résignation votre abandon. Vous pensez que le bonheur vous attend auprès d’une autre ? Soit !… Je vous aimais pour vous, non pour moi. Aussi, du jour où j’ai senti… Il y a longtemps de cela (elle hocha la tête d’un mouvement mélancolique), du jour où je me suis aperçu que votre amour diminuait…

Raymond, inquiet, redoubla d’attention.

— Dès ce jour, je me suis soumise à ma destinée… Hélas !