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LE SYMBOLISME


PHYSIOLOGIE PARISIENNE




Le Décadent


Il est fils du moderniste,

Petit-fils de l’idéaliste,

Neveu de l’impassible,

Arrière-neveu du Parnassien,

Un peu bâtard du Réaliste

Et cousin au douzième degré de l’ancien Romantique.

Le décadent s’est ainsi appelé lui-même pour indiquer à quel niveau il a mené la poésie.

Ne pouvant s’élever, il s’est résigné à demeurer par terre ; il y est bien, il s’en vante et voilà pourquoi il est le décadent.

Le décadent est un jeune homme très pâle, maigre, estimé dans certaines brasseries littéraires.

Il n’a aucune personnalité, aucune originalité, mais il appartient à une école spéciale où l’on est convenu d’adopter certains mots et d’user de certaines tournures.

Il prétend procéder de Schopenhauer et de Joseph Delorme avec une pointe de Darwinisme.

Il adopte ces noms parce qu’ils sont baroques et peu compris des bourgeois. Au fond, le décadent ignore lui-même Schopenhauer et n’a jamais étudié Darwin.

Le décadent procède également du bock et de l’absinthe verte.

Le décadent imite de loin la manière de Baudelaire. Il a des désespérances, des dégoûts et des rancœurs.

Son nez est plein de relents,

Ses oreilles remplies de sonnailles d’or ;

Son cœur a des héroïsmes amers.

Le décadent n’a pas d’idées. Il n’en veut pas. Il aime mieux les mots, et quand le mot ne lui vient pas, il l’invente.

C’est au lecteur à comprendre et à mettre des idées sous les mots. Le lecteur s’y refuse généralement. De là, le mépris du décadent pour le lecteur.

Le décadent croit faire neuf. Ce qui laisserait croire qu’il n’a jamais lu Werther ni Paul de Kock. Le Werther du décadent est en pain d’épice et son Paul de Kock est macabre.

Toutefois le décadent, si bas qu’il a mis la poésie, n’est pas encore le dernier. Il a sous lui un têtard qui commence à s’exhiber