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MALLARMÉ

teur sa façon de penser ou de sentir ; il se contente de lui offrir, ici comme ailleurs, un motif à méditations.

2. Cette page est relativement claire, parce que Mallarmé, désireux sans doute de donner au vulgaire un spécimen de son art, a voulu l’écrire selon son expression « en langage de conversation ». Si Mallarmé s’était proposé de faire un poème avec les diverses impressions consignées dans cette prose, voici comment il l’eût composé. Il eût inscrit sur des fiches chacune des images obtenues dans les trois temps d’évocation indiqués. Ensuite, au moyen de l’allusion, de la comparaison, de la métaphore et d’incroyables artifices de lexicographie, de syntaxe et de grammaire, il eût à chaque image ajouté de petites images adventices qui eussent été comme le développement, l’extension de cette image initiale. Ce travail préparatoire achevé, le poète se serait trouvé en face d’une moisson d’images, une armée débandée de suggestions incidentes entourant le général en chef, c’est-à-dire l’idée primitive, le thème original. Dans ce chaos il aurait fallu introduire l’ordre. La volonté intervenait alors ; elle faisait d’abord un choix judicieux parmi les images présentes, n’élisait à l’honneur du poème que les plus capables de faire impression sur le lecteur. Après quoi, elle s’efforçait d’ordonner cette élite encore indisciplinée, autrement dit, le poète traçait le plan de son poème.

Or, quand on passe de la conception des idées à l’expression de ces idées, une difficulté se présente insurmontable dans l’ancien art de composer. Par besoin de clarté, nous avons pris l’habitude de présenter successivement les idées, d’user en un mot dans l’expression d’un art analytique qui nous permet de faire le dénombrement de nos pensées, mais non de les présenter dans leur fouillis de conception, avec ce fécond entrelacement sous lequel elles s’étaient manifestées et dont elles tiraient par réciprocité d’action les unes