sur les autres une intensité de puissance que l’analyse leur
enlève. Il faut pour les traduire dans toute leur valeur les
présenter non plus successivement, mais simultanément. Le
poète va se placer au centre de ces idées et il les évoquera
toutes en même temps. Mais, vous écriez-vous, c’est changer
de chaos ! — Pas du tout. Vous allez comprendre, si, abandonnant
les habitudes de composition auxquelles vous oblige
la clarté vulgaire, vous substituez à la hiérarchie logique de
la littérature, la hiérarchie également logique de la musique.
Dans un orchestre, les premiers violons jouent le chant ;
en même temps qu’ils exécutent leur partie, les seconds violons
et l’ensemble des basses jouent l’accompagnement. Le
thème initial voit accroître sa puissance musicale de tout le
jeu des thèmes harmoniques qui complètent, amplifient,
diversifient son motif essentiel. Est-ce que pour l’auditeur
placé à distance la phrase musicale ainsi réalisée manque
d’unité ? Absolument pas. L’oreille perçoit la beauté du chant
mais elle est infiniment flattée par les floritures, d’ailleurs
indispensables, de l’accompagnement. Le poème s’organise
selon la méthode de la musique. Il est écrit sur un thème
autour duquel sont groupées les idées harmoniques qui lui
conviennent. A l’écrivain de savoir orchestrer ses illusions
dans le ton le plus convenable aux suggestions qu’il veut
produire. La démonstration du procédé mallarméen eût été
facile à faire si l’auteur avait mis en vers son morceau : le
Démon de l’analogie. Malheureusement, l’orchestration poétique
de cette page n’existe pas. A son défaut, voici le sonnet
bien connu : le Vierge, le vivace et le bel aujourd’hui…
Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui
Va-t-il nous déchirer avec un coup d’aile ivre,
Ce lac dur oublié que hante sous le givre
Le transparent glacier des vols qui n’ont pas fui !
Un cygne d’autrefois se souvient que c’est lui
Magnifique, mais qui, sans espoir, se délivre
Pour n’avoir pas chanté la région où vivre
Quand du stérile hiver a resplendi l’ennui.