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MALLARMÉ

s’est livré à une série de recherches si méticuleuses qu’il a passé toute sa vie à des essais grammaticaux et paralysé par scrupule de beauté sa puissance de production : « Que de fois, a-t-il avoué à l’un de ses familiers, Camille Mauclair[1], j’ai résolu de me mettre à écrire les livres que je portais dans mon cerveau, en me contentant d’une forme française habituelle, d’un à peu près éloquent et expressif avec des rythmes et une syntaxe d’usage courant, en me jurant à moi-même de secouer le joug ; et puis, au moment de commencer, je sentais que je ne pouvais pas, que l’on n’a pas le droit de mésuser ainsi de la langue écrite, et je recommençais à étudier ce qu’elle exige, » Aussi, la plupart de ses poèmes ne sont-ils que des études, des expériences si l’on veut, où l’écrivain, torturé par son besoin de nouveautés syntaxiques, essayait de condenser à l’extrême dans un style fortement synthétique les pensées qui l’assaillaient. S’il est impossible de juger des ébauches, on peut du moins rechercher les points principaux, auxquels, dans une étude aussi passionnée de la forme, le poète avait arrêté son investigation.

L’originalité syntaxique se traduit chez lui par ce principe général. L’accord des périodes doit se faire non d’après le cours des mots, mais d’après le cours des idées. Cela exige l’emploi continuel de toutes les tournures habituellement délaissées par les écrivains qui font passer la logique verbale avant la logique idéale : ellipse, synchise, apposition, syllepse, anacoluthe. Par ces procédés Mallarmé resserre entre elles les images et réussit à les élucider non les unes après les autres, mais les unes par les autres. De là chez lui ces tournures qui étonnent encore tant de lecteurs et qui paraissent renouvelées soit des langues synthétiques de l’antiquité, grec et latin, soit des langues plus modernes, de l’allemand par exemple. Ainsi le verbe joue dans sa phrase un rôle capital. Sa place dans la

  1. Esthétique de Mallarmé.