bizarre que le cynisme. Ce sont ces odieuses fleurs du lyrisme immoral, Accroupissements, les Pauvres à l’église, les Premières Communions, on dirait que le poète tient gageure de turpitudes, tant il accumule à plaisir les hontes, les horreurs et les infamies, tant il étale jusqu’à la nausée sa manie de pestilence…
Après ces élucubrations systématiquement désagréables,
Rimbaud donne son meilleur poème, le Bateau ivre. Cette
traduction en métaphores colorées des nostalgies et des vertiges
de l’âme humaine rappelle encore trop le Baudelaire du
Voyage ; mais, au lieu de procéder par descriptions narratives
ou psychologiques, Rimbaud essaie d’y suggérer par un
enchevêtrement mystérieux d’images et de sonorités, des
correspondances de pensées ou de sensations, et, par une
musique aussi troublante que celle des Orients évoqués,
toute une série d’impressions généralement trop confuses
pour ne pas échapper à l’analyse. Le vers n’a pourtant rien
d’irrégulier. La prosodie y est strictement conforme aux
règles traditionnelles. A peine si l’on peut reprocher au
poète une négligence involontaire, la rime d’un singulier lenteur
avec un pluriel chanteurs. La nouveauté réside surtout
dans cet art de composition qui consiste à s’exprimer non
plus par pensées ou par images logiquement coordonnées,
mais par suggestions associées selon la loi d’un état d’âme.
C’est à cette composition de moins en moins logique, mais de
plus en plus suggestive que Rimbaud va s’attacher. Elle
permettra seule d’expliquer ces éclairs de lyrisme, et ces
métaphores d’une complexité si touffue qui sont le mérite
des Illuminations. Elle apparaît du reste avec plus d’évidence
encore dans certaine poésie de cette période, que Rimbaud
lui-même donne comme expression de sa Muse à cette
époque. Il cite en effet son poème de la Faim :
Si j’ai du goût, ce n’est guères
Que pour la terre et les pierres