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LES MALLARMÉENS

terrifiante beauté des centres industriels et l’angoissante interrogation que posent à la ville comme à la campagne l’évolution sociale, l’obsession de la misère, l’hallucination de l’or, l’exode des paysans vers les villes tentaculaires et la corruption parallèle à cette folie des masses plébéiennes. C’est enfin devant les spectacles de la nature ou de l’industrie la violence d’une âme impatiente de savoir, l’exaltation, la rage, la sauvagerie même de l’être emprisonné dans le tourbillon des forces, témoin de la lutte croissante que se livrent entre elles tant d’énergies diverses et qui s’impatiente de n’entrevoir la vérité que par éclair intermittent. Verhaeren possède au paroxysme le sentiment de l’immense qui se cache sous l’exubérance de la nature ou le travail enfiévré de l’humanité. Son génie est fait précisément de la douleur qu’il éprouve à n’en point pouvoir pénétrer à fond le mystérieux secret.

Devant lui, « les flots de l’inconnu s’enflent géants et fous [1] », et l’activité véhémente des éléments tourmente l’âme du poète. La fièvre le brûle ; elle l’entraîne irrésistiblement, car c’est par elle qu’il percevra l’invraisemblable :

La fièvre avec de frémissantes mains,
La fièvre, au cours de la folie et de la haine
M’entraîne…
Et tout à coup je m’apparais celui
Qui s’est, hors de soi-même, enfui
Vers le sauvage appel des forces unanimes[2].


Comme son Passeur des Villages Illusoires, il garde en lui l’obsession hallucinante de l’inconnu. Il en écoute l’appel

  1. Les Forces tumultueuses : Ceux qui partent.
  2. Les Visages de la vie : la Foule. Cf. aussi les Apparus dans mes chemins : Saint-Georges.