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LE SYMBOLISME

formes, purement métrique, rimée, assonancée, allitérée, était employé par l’auteur de Tannhaüser selon le degré des sentiments exprimés. L’allitération simple et parallèle, double et simultanée, renfonçait chez lui l’extrême variété du rythme et le prodigieux éclat du style, car Wagner traitait ouvertement sa langue comme une musique où les mots n’avaient pas d’autre valeur que les blanches ou les noires. Nietzsche loue d’ailleurs chez son compatriote « la vie presque corporelle de l’expression, une puissance d’invention à peu près unique dans les formes qui doivent exprimer la fluctuation émotionnelle et le pressentiment, une simplification dans l’architecture des périodes, une merveilleuse richesse de mots forts et significatifs [1] ». Les artifices ordinaires de la rhétorique sont en effet remplacés chez le lyrique allemand par la concentration de l’expression, la concision oraculaire et mystérieuse de ces vocables qu’Édouard Dujardin appelle des « mots-sommets » et qui semblent n’être que le motif condensé dont la symphonie fera l’amplification ou le développement. La passion vient-elle à se manifester par des mouvements irréfléchis, alors la phrase de Wagner échappe aux règles habituelles de la construction. Le poète accumule les épithètes, supprime les conjonctions, multiplie les mots composés et les néologismes, rénove les vocables soit en les ressuscitant de l’ancienne langue allemande, soit en les employant dans leur sens primitif, crée des verbes en ajoutant des particules inséparables à des radicaux que nul avant lui n’eût osé associer et joue sur les racines des mots principaux d’étranges variations qui vont de la simple antithèse jusqu’aux jeux de mots et aux calembours. Mais ainsi, il réalisait « son rôle qui est de provoquer la révolution partout où il arrive [2] ». Ainsi, il préparait l’œuvre d’art « par la démolition et l’écrasement de tout ce qui méritait d’être

  1. Nietzsche, Richard Wagner in Bayreuth. Chemnitz, 1876, in-8o.
  2. Lettre à Uhlig. Zurich, 27 décembre 1849.