et qu’il s’efforçait d’y exprimer l’ivresse amoureuse
[1] ou douloureuse
des poètes de sa génération. Mais son symbolisme
devait avoir d’autres coquetteries que la forme sociale. L’étude
a fait de Laurent Tailhade un éclectique. Il s’affirme comme
un Latin dans l’essence même du terme. Son génie réalise la
synthèse des divers siècles du classicisme et la couronne
par l’ironie. Voici l’esprit des Grecs, Théocrite et les Alexandrins ;
des Latins, Catulle, Martial, Pétrone ; des Français
du xv et du xvie siècle, Villon et Rabelais ; des irréguliers
du xviie siècle, Théophile de Viau, Saint-Amand ; des caustiques,
Champfort et Rivarol ; des romantiques, Victor Hugo
[2] ;
enfin des Parnassiens, Théophile Gautier, Tailhade les résume
tous. Pareil au diamant dont l’irradiation se traduit par des
feux de couleurs diverses, son esprit émet les reflets simultanés
des uns et des autres. Ainsi s’explique qu’au charme
virgilien du Jardin des rêves succède la truculence des
Poèmes aristophanesques, qu’après la liturgie orphique et
l’hymne antique, la liturgie catholique déploie la splendeur
de ses rites, ou l’argot, le pittoresque de son rire, Tailhade
mariant avec une maîtrise égale le paganisme au christianisme
et l’élégie aux pires facéties de la satire.
L’ironie est en effet chez Tailhade la fleur de l’activité poétique.
Elle se développe soit par la gravité du pince-sans-rire
dont certains Quatorzains d’été donnent le modèle
[3],
soit par la bonhomie féroce des intimités qui s’intitulent
Foire aux jambons ou Fête Nationale, soit par des coups de
fouet comme ceux qui cinglent l’Autre moricaud
[4],
Fatigué de porter un nom de pot de chambre,
Thomas…
ou qui sifflent à la fin de Chorège
[5], soit enfin par des vers à
l’emporte-pièce qui sont autant de flèches dans le derrière