après Cicéron, après Bossuet, non l’harmonie de la phrase,
mais le nombre, c’est-à-dire ce rythme des mots en accord
avec le rythme de la pensée. À ses états d’âme correspondent
des tours adéquats de syntaxe et d’expression. Il
rappelle aux écrivains et il leur démontre que la prose a
des cadences plus complexes, plus délicates peut-être que la
poésie, que grâce à elles le génie ne se contente plus de
peindre ou de décrire, mais réussit à condenser dans un concours
de mots toute la puissance suggestive d’une sensation.
Son œuvre est pleine de ces phrases au sens imprécis
où la musique des syllabes suffit à provoquer un état d’âme.
Sans doute, l’harmonie proprement dite n’est pas étrangère à
la magie prestigieuse de cet enchanteur, mais il est avant
tout le précurseur de ceux qui prétendront plus tard enfermer
l’idée dans une gaine souple et suivre par le caprice du
style le caprice de la pensée. Il réalise ce tour de force
autant par la connaissance profonde des rythmes propres à
la prose française, que par la nouveauté hardie de ses comparaisons.
Ainsi il rapproche un état d’âme et un objet
matériel. Il établit des rapports inaccoutumés entre deux
termes, l’un abstrait, l’autre concret ou réciproquement. Il
écrit l’Ame de la Solitude, le Secret des Bois, la Fidélité
des Ombres, la Jeunesse de la Lumière, le Marbre tragique,
renouvelant à plusieurs siècles d’intervalle les audaces instinctives
du poète Eschyle. Comme tous les novateurs, Chateaubriand
a donc orienté le génie français vers des routes
nouvelles et l’école symboliste se bornera plus tard à retrouver
la voie qu’il avait indiquée, mais dont le romantisme
avait dédaigné l’accès.
4. Cette accusation n’est peut-être pas tout à fait méritée par les romantiques. Quelques-uns d’entre eux, et non des moindres, réalisent une poésie symboliste tandis que le chef de l’école consolide enfin sa gloire en réussissant à les égaler. C’est d’abord notre Chateaubriand en vers, Lamartine. Des