Page:Barrot - Mémoires posthumes, tome 2.djvu/19

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gues de cour, il n’y a plus eu de sérieuse tentative pour fonder la liberté sur des forces vives et résistantes : les idées ont continué à cheminer, les esprits à travailler ; mais en dehors des faits qui n’étaient plus là pour donner un corps à ces idées, elles se sont égarées à la poursuite de l’impossible. Il faut cependant bien chercher et trouver d’autres éléments de résistance pour remplacer ceux qui n’existent plus et qu’il y aurait folie à vouloir faire revivre. Car comment concevoir la liberté dans un pays où rien ne résiste, l’équilibre des forces là où il n’y a qu’une force qui absorbe tout en elle-même ? La France s’est vouée à cette recherche, elle a fait bien des essais, elle n’a pas encore réussi ; elle ne se reposera cependant dans un gouvernement stable et libre que lorsqu’elle aura trouvé la solution de ce problème. L’œuvre est difficile, sans doute, mais quelles difficultés ne peut surmonter le sentiment de la nécessité, alors surtout que le besoin de triompher d’un mal connu serait devenu la préoccupation de toute la partie intelligente d’une grande nation !

Une autre conséquence est sortie de cet état de choses : la nation successivement dépouillée de toute participation sérieuse à ses affaires, de toute responsabilité dans la direction de son gouvernement, s’est trouvée forcément jetée dans le domaine des théories et des idées spéculatives ; à quoi aurait-elle employé les loisirs que son gouvernement lui faisait, si ce n’est à rêver et à se livrer à tous les écarts de l’imagination ? La pensée est le plus noble attribut de l’homme, mais si elle n’est réglée par l’expérience, si elle n’est contenue par la responsabilité, elle s’égare inévitablement et c’est ce qui est arrivé en France. Croyez bien que si le gouvernement monarchique n’avait pas si bien et si complétement réussi à écarter systématiquement les Français de la gestion de leurs affaires même lo-