Page:Barry - Chroniques du lundi, 1900.djvu/128

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les musiciens sont des poètes. Les arpèges et les trémolos sont leurs rimes et leurs hémistiches. C’est le même poème que les uns et les autres nous racontent, les uns en vers, les autres en sons harmonieux : poèmes d’amour, de naïve jeunesse, d’évocations célestes et de mélancolisantes tristesses.

Ce sont ces pages que les musiciens déroulent sur le clavier, et, auxquelles, leur intuition géniale peut donner toutes les splendeurs de l’orchestration.

Les philosophes de l’antiquité disaient que « notre âme n’était formée que d’harmonies. » Toutes modulations harmoniques, toutes intonations chorales et instrumentales devraient réveiller en nous les échos de nos concerts intimes, « de ces mélodies vagues et charmantes qui chantent au-dedans de nous, » et si nous prêtions une oreille attentive, ces notes nous parleraient une voix qui ne serait que l’interprétation de nos propres pensées.

Mais « la musique est une belle langue que les hommes ne savent pas toujours écouter. » Bien souvent, dans les salons, les premiers accords ne servent que de préludes aux conversations animées.

— Oh ! mon cher monsieur, disait une maîtresse de maison, mieux intentionnée qu’intelligente, à un artiste de renom, un morceau de musique, s’il vous plaît, la conversation languit.

Le professeur s’exécuta tout en méditant une petite vengeance qui le consolerait un peu du manque d’appréciation de son auditoire.

D’abord, il fit entendre une mélodie douce et plaintive qui couvrait à peine le susurrement des causeries qui avaient commencé à s’élever. Puis, il augmenta la force de son jeu, pianissimo, forte, crescendo, fortissimo !… Les notes empoignées avec force, frappées avec violence faisaient un fracas étourdissant. Quel bruit ! quel tintamarre ! Aussi bien, afin que chacun parvint à s’entendre, le diapason de la voix avait monté jusqu’au ton suraigu.

Brusquement, sans transition, le pianiste s’arrête. Et,