Page:Barry - Chroniques du lundi, 1900.djvu/127

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Comme ils sont rares, ceux qui savent ainsi interpréter la musique.

Je ne parle pas de nos professeurs ; eux, ont les grâces d’état et sont tous enfants de la grande famille des musiciens, mais, enfin, il n’est pas donné seulement à ces talents extraordinaires d’interpréter les chefs-d’œuvre des grands-maîtres. Ceux-là peuvent, il est vrai, plus aisément surmonter les difficultés chromatiques, émerveiller leurs auditeurs par la souplesse et l’agilité de leurs doigts, mais, tous ceux qui ont une âme, peuvent, au moins, la laisser palpiter dans la plus simple des romances.

Un tapotage brillant ne suffit pas si l’on n’y ajoute l’expression, qui est comme la traduction de ses propres sentiments.

J’admirais l’autre jour dans un de nos coquets salons, une superbe gravure, intitulée : Le rêve de Beethoven. Ce tableau, suspendu avec un goût qui fait honneur à la maîtresse de maison, au-dessus du piano, représentait Beethoven endormi sur son clavecin au milieu de partitions. de concertos, de feuillets épars, de cahiers entre ouverts ; sur un coin de l’instrument, une plume et un encrier prêts à transmettre sur les pages encore blanches, les divines inspirations de son génie.

Au-dessus de la tête du maestro, flottent, légères, vaporeuses, idéalisées, les symphonies sublimes, les improvisations grandioses, les sonates extatiques qui prennent un corps et une âme pour visiter celui qui les créa.

Quelques-unes sont graves et tristes, les autres souriantes, rêveuses passent devant lui ou encore tourbillonnent deux à deux en se donnant la main.

Ah ! il les comprenait bien ces œuvres de son génie, lui, qui, dès l’âge le plus tendre, avait fait de son instrument, son meilleur ami, son plus intime confident, lui, qui disait un jour à celle qui partageait avec son art, son cœur et sa vie :

— Ce que je sens là, je ne puis vous le dire, mais mon clavecin va parler pour moi.