Page:Barry - Chroniques du lundi, 1900.djvu/141

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Et de toutes ces choses s’échappent comme une odeur de temps qui n’est plus, « comme une poussière de choses mortes. »

— On ne respecte donc rien, se disent en eux les meubles navrés.

Un fauteuil capitonné que regardait une mignonne berceuse lui dit :

— Te souviens-tu comme, à certains soirs, nous étions près l’un de l’autre ? nos bras se touchaient, du frôlement de nos damas se dégageait je ne sais quel parfum subtil qui nous enivrait tous deux, et jamais tu ne me paraissais si jeune et si fraîche dans ta toilette rose, ma jolie, que ces soirs-là.

— Hélas ! soupira la berceuse, qui nous eut dit que nous serions si tôt et si cruellement arrachés l’un à l’autre ? Combien de fois, j’ai bercé à leur tour la douleur, l’amour ou l’espérance et aujourd’hui on nous renvoie. Auriez-vous cru, cher ami, les hommes si inconstants et si oublieux ?

— Les hommes sont bons, pourtant, dit une causeuse cherchant à secouer les dentelles de ses coussins : maintes fois, je les ai entendus énoncer les plus belles théories, les plus généreux sentiments, mais dans leur âme d’hommes, ils ne comprennent pas que ce monde matériel qui les entoure puisse sentir et souffrir comme eux.

— Devrait-on, s’écria une table de laque un peu boiteuse, nous délaisser ainsi ? nous avons été, tous tant que nous sommes, de bons et loyaux serviteurs, et voilà comment notre zèle est récompensé. Que de fois, j’ai ployé sans murmure sous le poids de fardeaux trop lourds dont on me chargeait, jusqu’à ce qu’enfin, poussée par le pied d’un maladroit, je sois tombée et aie gagné dans ma chute cette blessure qui m’a valu l’exil…

— J’ai froid, gémit sourdement, un secrétaire de bois de rose, dont les casiers étaient vides et les tiroirs ouverts ; on m’a enlevé mes secrets, ma vie, tout ce que j’ai de plus cher. J’ai gardé sur toutes ces effusions un si-