Page:Barry - Chroniques du lundi, 1900.djvu/145

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me procurer quelque plaisir, je saluai avec empressement ce gage de bonheur inespéré qui s’offrait à moi.

D’abord, j’examinai dans quelle position il se trouvait. Ce détail, bien qu’il puisse sembler insignifiant, est d’importance capitale.

Si le fer est tombé de telle ou telle manière, cela lui donne telle ou telle signification qu’il convient d’étudier avant de le relever.

Mais les dieux soient loués ! il était tout ce que la plus scrupuleuse superstition pouvait exiger ; les crampons en l’air et trois clous y adhéraient encore.

Trois ! nombre impair et chiffre fatidique… rien ne manquait donc pour que la chance fut complète. J’étais gâtée par le sort.

Je fis le reste du trajet, tenant précieusement le talisman dans ma main, sans plus me soucier des sourires moqueurs échangés sur mon passage, que si j’eusse été seule au monde.

Arrivée chez moi, après avoir reçu les chaudes félicitations de ma vieille bonne, qui croit à la vertu d’un fer à cheval comme les Mahométans croient au Coran, j’accrochai triomphalement ce trophée d’un nouveau genre, la courbe en bas, to keep the good luck in.

Et maintenant me voilà prête pour tout ce qui peut m’arriver d’heureux. Je m’attends à tout : à recevoir des surprises agréables, à trouver des mines d’or et d’argent, etc., etc.

En attendant, j’époussette tous les jours mon porte-bonheur.

Surtout, qu’on ne rie pas.

Chacun a sa marotte ici-bas ; les plus grands philosophes, voire les plus incrédules, n’ont pas été au-dessus de quelque faiblesse de cette nature.

Superstition pour superstition, la mienne en vaut bien une autre. Elle vaut, dis-je, celle d’une jeune montréalaise avec qui l’autre jour, je descendais la rue.

Arrivée devant une maison dont on était à réparer la façade, elle s’arrêta brusquement :