Page:Barry - Chroniques du lundi, 1900.djvu/160

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tout doucement elle se laissait faire, et comme on ne lui faisait pas violence, comme on ne l’activait plus, elle redevenait naïve et bonne, comme au jour où on la menait cueillir, dans les champs, la fraise parfumée ou jouer sur les galets de la grève.

Dans ce séjour du paradis, il me semble que j’aurais pu vous écrire de bien douces choses. L’inspiration venait d’elle-même. Je trouvais sans efforts, sans presque y songer, des idylles touchantes, de ravissantes pastorales, mais, prendre un crayon, c’était rompre le charme. Aujourd’hui que je cherche à vous retracer toutes ces choses, c’est à peine si je puis fixer ici un pâle rayon de leurs éblouissantes clartés.

Ce que l’âme ressent dans toute son intensité, nul langage ne peut le rendre ; quoique vous fassiez, toujours il manquera des mots pour exprimer cette essence divinisée de la pensée aussi insaisissable que l’âme elle-même.

Peut-être se lèvera-t-il un jour où, là-haut, dans cet au-delà que nous ne comprenons pas très bien, nous donnerons à nos sentiments cette forme idéale tant rêvée !

Tout un jour, je goûtai le plaisir de me laisser vivre, tout un jour je me sentis heureuse sans trop savoir pourquoi.

Le soleil avait maintenant fini sa course à travers l’horizon, une brise légère s’était élevée, ridant la surface des eaux, balançant les branches des pommiers, les pâles marguerites, la tête blonde des résédas. J’ouvris les persiennes toutes grandes, pour laisser entrer l’air chargé de subtils arômes, et, les bras appuyés sur les rebords de la fenêtre, je continuai de me livrer à mes contemplations.

Une voix fraîche et claire vint tout à coup me distraire, en même temps qu’un bruit de vaisselle qu’on remue rompait le silence qui avait régné jusque-là ; c’était la servante du logis se remettant, avec une chanson, à son travail quotidien. Bientôt elle sortit et se dirigea