Page:Barry - Chroniques du lundi, 1900.djvu/171

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

connaît encore de la vie que les pâles rayons d’un soleil de novembre.

La pauvre mignonne ! Elle n’avait pas été tout à fait désirée, et son entrée dans le monde avait un peu déçu les espérances de la jeune mère, plus flattée, dans son orgueil maternel, de la venue d’un fils. Mais, elle était là, bien inconsciente du léger contre-temps qu’elle avait causé, et ses grâces natives lui avaient vite reconquis une large place dans le cœur de celle qui lui donna le jour.

Elle en a besoin, la chère petite, de cette chaude affection, pour la préparer à la vie qui s’ouvre devant elle.

Gentils bébés, à quoi rêvez-vous, dans vos blanches robes, quand vos yeux si graves, si sérieux semblent fixer l’infini ?

Regrettez-vous le néant d’où l’on vous a tirés ?

Sentez-vous s’éloigner, avec les semaines, avec les mois, cette terre promise où vos âmes d’enfants espéraient d’ineffables délices ?

Avez-vous déjà l’intuition vague des luttes de l’avenir ?

Qui peut dire ? qui saura jamais ce qui se passe derrière ces petits fronts ?

Et, pour toi, bébée Gertrude, — car elle s’appelle de ce nom que lui a donné la fée bienfaisante, sa marraine, — que seront-elles ces luttes de la vie ? Notre lot, petite, est diversement réparti, et, plus d’une épaule se courbe sous un fardeau trop lourd.

Mais, pour filés d’or et de soie que soient tes ans, un jour viendra, — il vient à toute femme, — ou l’épreuve te flagellera comme un bourreau, on ton cœur meurtri souffrira mille tortures.

Seras-tu alors vaillante et forte ?

Garderas-tu un aspect serein en face de la tempête, et, ta bouche saura-t-elle sourire, quand ton cœur déchiré connaîtra la souffrance et les pleurs ?

Bébée Gertrude, ma jolie, tu ne sais rien du monde où tu occuperas, un jour, une large place peut-être.