Page:Barry - Chroniques du lundi, 1900.djvu/221

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le vaillant Sovereign ne bronche pas ; à peine, un léger tangage trahit les tourments qui l’obsèdent.

Et nous les regardons toujours les beaux flots indomptés, tout pleins d’admiration pour leur téméraire hardiesse.

Un petit arbre, secoué et tordu par la rafale, se dresse dans les eaux profondes. Il tient là comme par miracle, avec juste un peu de terre pour y planter ses racines. C’est la vie, la vie partout, même au milieu de la mort.

Combien d’années encore, le saule frôle se couvrira-t-il de sa feuillée verdoyante ? Combien d’années encore verra-t-il passer près de lui des voyageurs que le courant emporte si loin, si loin ?

Hélas ! qui peut répondre de la durée même d’un arbrisseau !

Déjà, il était derrière nous et l’on n’apercevait plus qu’un front courbé luttant contre les flots qui l’assiégeaient.

Nous voguions maintenant sur le fleuve tranquille ; pas une ride ne trouble cette surface, unie comme la voûte éthérée qu’elle reflète.

Saluons, en passant, l’Isle des Sœurs, superbe et luxuriante avec ses bois touffus, ses bosquets ombreux, où les blanches cornettes des religieuses vont promener des fronts pâlis par les méditations, et qui sait ! par quelques regrets peut-être.

Puis, la ville apparaît à demi noyée dans une brume argentée…

C’est l’heure blonde du soir, heure charmante et mystérieuse où les voix humaines se taisent et laissent chanter la nature.

Une croisière d’hirondelles passe au-dessus de nos têtes, fendant l’air d’un vol rapide. Elles se hâtent de regagner leur logis, blotti à l’ombre de quelque cheminée.

« Heureuse est la maison où l’hirondelle a mis son nid ! »