Page:Barry - Chroniques du lundi, 1900.djvu/231

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Je n’aurai garde, en ouvrant les yeux trop tôt, de rompre le charme berceur de ces impressions.

J’aime mieux continuer mon rêve, lui laisser toute latitude, tandis que le mouvement machinal que ma main imprime à l’éventail contribue à la durée de l’illusion.

Maintenant c’est la brise du fleuve qu’il m’apporte, le souffle fort et vivifiant de la mer, tout chargé d’âcres senteurs. Je les aspire avec délices, et je prête l’oreille pour entendre les légers clapotements des vagues, venant lentement mourir sur les galets de la rive.

C’est un bruit monotone, trouvez-vous ? C’est que vous n’y êtes pas habitué, et, que vous n’avez pas appris à comprendre ce que le flot babillard sait dire à la plage amoureuse.

Il y a, dans cette uniformité même, mille sons divers que seuls saisissent ceux qui ont grandi au bruit de sa musique cadencée.

Elle est calme et sereine aujourd’hui, la belle mer, mais comme elle sait être cruelle et terrible à ses heures de colère, et comme elle dévore, implacable, les imprudents qui osent l’affronter.

J’en ai vu partir, qui se sont confiés à elle, alors que le ciel était calme et souriant au-dessus de leurs têtes.

Ils étaient jeunes et beaux, trop beaux peut-être, car, jalouse, elle les a saisis, soudain, dans une effroyable étreinte et n’a plus voulu les rendre…

Chassons loin de nous ces sombres et tristes pensées.

J’aime mieux la voir telle qu’elle doit être aujourd’hui, pure et belle, sommeillant sous les chauds rayons, du soleil d’été.

Non loin de ses bords, de petites îles étalent au sein des eaux leur luxuriante verdure.

On serait bien là, loin de tout bruit humain, seul avec soi-même, perdu dans l’immensité qui vous environne.