Page:Barry - Chroniques du lundi, 1900.djvu/232

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Quel bon coin de repos pour oublier les ennuyeux, les sots, les mesquineries de la vie, et jusqu’au souci de vivre.

Ce simple projet délasse mon esprit, et la possibilité d’une pareille école buissonnière me met dans l’âme un sentiment de bien-être inénarrable.

Qui eût pu croire, quand je les contemplais autrefois si librement, les gentils îlots, qu’ils m’auraient donné un jour cette poussée de misanthropie ?

J’ai assez voyagé par les champs, par les grèves ; je grimpe le petit promontoire à gauche, qui domine les prés, le fleuve, et c’est aux pieds des sombres sapins, m’offrant leur ombre protectrice, que je reprends le cours de ma rêverie.

L’endroit est enchanteur et prête aux confidences ; il en a déjà entendu, sans doute, mais on n’a pas d’indiscrétion à redouter ; l’écho même n’y redit jamais rien, et les grands arbres gardent fidèlement leurs secrets.

Peut-être se les chuchotent-ils aux jours d’automne, alors que seuls, dans la nature dépouillée, ils gardent leur épaisse parure et que le vent leur prête des voix si étranges !

Qui peut les accuser pourtant ? quelqu’un a-t-il jusqu’ici compris leur langage ?

Que de bonnes heures passées sous leurs rameaux touffus, dans le parfum pénétrant de leur bois résineux ! et leur écorce rugueuse a grandi, avec les hiéroglyphes taillés en pleine sève…

Sont-ce les seuls souvenirs, chers vieux amis, que vous gardez des générations qui passent devant vous ?

Mon pèlerinage s’arrête ici. Dans cette retraite, odorante et voilée, reposons-nous un instant, mon éventail et moi…