Page:Barry - Chroniques du lundi, 1900.djvu/251

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notre pauvre nature, — qui m’eût presque réjouie de la trouver moins parfaite.

J’avais cru que cette supériorité intellectuelle, reconnue de chacun, la rendrait quelque peu orgueilleuse, qu’elle se prononcerait sur tout, trancherait les questions d’un ton impératif et imposerait à tous sa façon de penser.

Je dus revenir de mon erreur première. Rarement elle élevait la voix ; et plus rarement encore s’engageait-elle dans de longues discussions, mais, si elle s’y trouvait mêlée, elle soutenait son sentiment avec tant de modération et de modestie, qu’elle semblait convaincre plutôt par la persuasion que par la justesse de ses raisonnements.

C’est surtout dans l’intimité qu’elle révélait les trésors de son esprit. J’aimais à la faire causer. Elle me disait de la vie des choses dont on ne m’avait jamais parlé auparavant.

Ah ! quelle femme, et surtout quelle mère !

Elle s’était faite l’institutrice de ses enfants, — une fillette de douze ans et le joli bébé blond dont je vous ai déjà parlé, — et surveillait leur progrès avec un soin jaloux.

— Voici déjà le temps où ma fillette va m’échapper, me dit-elle un jour, et je dois bientôt la remettre entre les mains de maîtres plus compétents que moi. Je suis bien résolue de lui donner tous les avantages d’une bonne instruction, et à cette fin elle apprendra le latin. Je suis trop convaincue de l’utilité de cette langue, même pour une femme, pour ne pas fournir à ma fille l’occasion de l’apprendre.

Quant à mon fils, qui joue encore là-bas avec son toutou en laine noire, je l’élève pour la femme qu’il devra épouser.

Oui, je veux l’habituer de bonne heure à comprendre tout ce que vaut un cœur de femme, afin que, le sachant bien, il l’apprécie davantage.