Page:Barry - Chroniques du lundi, 1900.djvu/279

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— Puisque le mal est fait, — pour ces fleurs du moins, — ne m’en donnerez-vous pas une, en souvenir de notre rencontre ? Moi aussi, j’en aurai bien soin.

— Vous avez besoin d’une fleur pour vous souvenir de moi ? C’est donc vrai ce que l’on m’a dit, que les hommes sont oublieux.

Oublieux ! Que ne donnerait-il pour oublier ces grands yeux limpides et doux qui le troublaient jusqu’au fond : de l’âme ? Maintenant, il se le disait tout bas, ils le poursuivraient partout. Au milieu de ses plaisirs, dans la discussion des plus graves questions diplomatiques, et jusque dans ses rêves, surgirait devant lui l’éclat lumineux et profond de ces yeux, qui, vaguement, lui faisait regretter une vie plus pure et mieux remplie.

Elle était là, devant lui, l’incarnation vivante de tout ce qui est chaste et candide, et il voyait la blancheur éblouissante de son âme nimber son front, irradier l’ovale délicat de son visage d’une auréole angélique.

Il aurait voulu la prendre dans ses bras, souple et frêle dans toute la souple gracilité de ses dix-sept ans, l’emporter loin, bien loin, dans quelque thébaïde cachée, pour laisser épanouir dans tout son éclat ce lis radieux.

Comment pourrait-il fleurir librement ici, dans la boue et la fange ? Comment préserver sa robe virginale des éclaboussures d’un monde souillé ?

Mais en avait-il le droit, lui, dont le passé se dressait tout à coup comme un remords ? Avait-il le droit de sacrifier ce jeune printemps aux désenchantements de sa vie désillusionnée ? Et il se sentit au cœur une tristesse mortelle, dont l’angoissante torture se trahit sur son visage.

— Vous ai-je fait de la peine ? reprit-elle, et déjà des larmes montaient jusque dans ses yeux. La voici, ma marguerite, prenez tout le bouquet, si vous le désirez ; vous êtes bon, et j’aurais bien du chagrin de vous contrarier.

— Qui vous a dit que j’étais bon ? dit-il, en prenant dans la sienne sa petite main gantée.