Page:Barry - Chroniques du lundi, 1900.djvu/77

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D’une voix chevrotante et cassée il me dit :

— Dieu vous bénisse…

Certes, c’était une bonne parole et j’aime çà entendre cette prière dans la bouche d’un vieillard.

— … et vous console ! continua-t-il encore.

j’eus comme un grand coup dans le cœur.

Que Dieu me bénisse et me console. Me consoler de quoi ? Les jambes me flageolaient et je dus m’asseoir quelques instants sur les marches de pierre du perron.

Là, je commençai à faire un retour sur les derniers jours qui venaient de s’écouler pour voir si vraiment quelque incident m’aurait laissée inconsolable.

J’eus beau m’interroger, je ne vis rien. La veille, la bonne avait bien, par mégarde, écrasé du bout du pied, un gentil bébé chat, mais cette mort prématurée ne m’avait pas affligée outre mesure et déjà, le « froid oubli » avait fait place à de stériles regrets.

Ça devait donc être autre chose.

Peut-être un peu d’ennui causé par une absence de quelques jours ? mais d’un voyage, on en revient et depuis la veille, j’étais heureuse.

Non, j’avais beau interroger les ciels de mes jours passés, ils n’étaient faits que de soleils.

Rien donc jusque là ne motivait le vœu du bon pauvre.

Puisque le passé n’avait pas besoin d’être consolé, évidemment c’était pour l’avenir. Rien qu’à y penser des sueurs froides me perlaient aux tempes.

Je n’ai jamais eu peur d’un ennemi qui m’attaque bien en face. Tout redoutable que peut être cet adversaire, je sais à quoi je dois m’attendre, et toujours sur la défensive, je sais riposter ou parer ses coups. Mais c’est celui que je ne connais pas que je redoute. Je ne le vois pas, mais il est là quelque part, caché, dissimulé, prêt à fondre sur moi, à me frapper au moment où je m’y attendrai le moins.