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DRAMES

précurseur de la tempête, grossissant sans cesse au ciel d’azur de leur bonheur !

Le vieillard s’enquit prudemment mais profondément, sonda le cœur de la jeune femme, interrogea onctueusement son âme ; il en conclut, sans hésitation, qu’il était sans reproches. Il n’en resta pas moins douloureusement perplexe…… On en vint à la conclusion à attendre la venue du jeune époux de Julie à Sorel, tel qu’il l’avait promis.

On se flattait de l’espoir hélas ! irréalisé que, en causant avec lui, le vieillard chercherait et trouverait la blessure, la sonderait et verrait au meilleur moyen d’opérer la guérison car, nul doute que c’était une plaie morale et, en conséquence, le ministre de Dieu se trouvait par la force des choses, le meilleur des médecins en cette vallée de larmes pour les jeunes comme pour les vieux !

Julie, depuis son arrivée à Sorel, n’avait pas reçu de lettre de son mari, mais il n’y avait, en cela, encore rien d’alarmant, car en ce temps-là, une lettre de Québec à Sorel ne se rendait à destination, qu’après plusieurs jours et, qui sait, se disait la jeune femme, si son mari, au lieu d’écrire, ne lui ménageait pas une heureuse surprise en venant lui-même ?……

Hélas ! la pauvre enfant se faisait une amère illusion, car elle ne devait jamais revoir, vivant, celui dont, insondables décrets de la providence, la cruelle destinée devait lui créer un deuil tragique.

XVI

Pour nous conformer au titre de ce roman — Drame de la vie réelle — nous allons suspendre le récit des douleurs qui ont saturé l’âme de notre héroïne sans toutefois, ainsi qu’on le verra plus tard, brider son cœur, tant la jeunesse et le temps sont des palliatifs aux plus grands malheurs ! Mais n’anticipons pas……

Nous profiterons du séjour de Julie chez notre excellent curé pour, en les accompagnant tous deux, raconter au lecteur attentif les choses extraordinaires dont Julie fut témoin et son père d’adoption l’un des acteurs, scènes qui se passèrent à Sorel, alors le bourg de William Henry.

Le lecteur, bien que nous ne précisions point les dates pour le bon motif que nous ne voulons pas qu’on puisse retracer l’identité des descendants des personnages que nous faisons revivre dans notre roman, mais le lecteur, disons-nous, nous croira sans peine, lorsque nous lui dirons que toutes les aventures navrantes que nous avons à raconter datent d’avant 1837-38.

C’est ainsi que nous constatons, ici, qu’une cession mémorable de la Chambre l’Assemblée, avait eu lieu à Québec vers l’époque de notre récit.

Nos députés alors incorruptibles, de même que l’était l’électorat, sauf quelques peccadilles, avaient voté, à une majorité de cinquante-six contre vingt-quatre, les fameuses 92 résolutions, contenant les griefs des habitants du pays, affirmant en même temps la ferme résolution de n’en pas abandonner un iota et d’obtenir justice coûte que coûte. L’honnête Morin fut délégué en Angleterre porteur de ces patriotiques résolutions, et il était porteur de requêtes recouvertes de cent mille signatures, si tant est qu’on n’ait point exagéré, car en prenant alors en considération le total de la population mâle y compris les torys (qui certes ne signèrent pas) cent mille signatures sont difficiles à supposer.