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CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE.

nes semblables lies a conduit les Gallois à un singulier moyen pour y suppléer : ils l’ont greffée sur une de leurs tiges traditionnelles, attribuant à un des héros du pays de Galles, nommé Peredur, l’histoire de Lez-Breiz enfant.

Le conteur gallois a fait subir aux mœurs du jeune Breton le même changement qu’à la forme de l’œuvre originale ; les unes, à ce qu’il paraît, lui semblaient surannées, peut-être grossières, comme l’autre. Son héros est plus civilisé que celui du poëte populaire. Il ne prend pas la fuite, en vrai petit sauvage, sans dire adieu à sa mère ; il l’embrasse, au contraire ; il reçoit ses conseils, il part avec son agrément. Le poëme, dans le remaniement gallois, gagne donc en culture morale, fruit d’une civilisation supérieure, ce qu’il perd en forme primitive et naïve. Cette culture est encore plus développée et plus sensible aux douzième et treizième siècles, époque où il acquit par toute l’Europe une telle popularité, que Chrétien de Troyes, en France, et Wolfram d’Eschenbach, en Allemagne, s’en approprièrent des morceaux, qu’ils placèrent dans deux de leurs romans imités du conte gallois. Le départ du jeune Lez-Breiz et son retour au manoir de sa mère furent les chants qui fixèrent surtout leur attention. J’ai déjà publié le premier, d’après Chrétien de Troyes ; le second est encore inédit et mérite d’être reproduit ; mais l’amplification du trouvère français n’ayant pas moins de deux cent soixante-dix vers, tandis que l’original en a seulement cinquante, je me permettrai de l’abréger.

Après avoir raconté l’arrivée du chevalier, dont il change le nom en Perceval, comme les Gallois l’avaient changé en Peredur, et comme les Allemands le changèrent en Parcival, il rend de la manière suivante la reconnaissance du frère et de la sœur :


Hors d’une belle chambre vint
Une moult très-gente pucèle
Blanche, com’ fleur de lys nouvelle
Moult était richement vetue :
Est droit à Perceval venue.
Par Dieu, le roi de majesté,
L’a moult bonnement salué.
Perceval son salut lui rent,
Qui bien savait à escient
Qu’elle était sa germaine suer (sœur).
Mais ne veut découvrir son cuer (cœur)
Mie, si tost, ainz (mais) veut atendre
À demander et à entendre
Combien a que mourut sa mère
Et s’il n’a mais (plus) ne suer ne frère,
Oncle, parent ni autre ami.
Assis se sont illec (là) andui (tous deux).
La damoiselle a commandé
À un keu (cuisinier) qu’il hast (hachât) la viande,
Et puis à Perceval demande :
— Sire, où géutes- (couchâtes) vous ennuit (cette nuit) ?
— Là ou n’eus guères de déduit (plaisir),
Fait Perceval, en la foret. —
La damoiselle sans arrêt
Commença des yeux à lermer (pleurer).
Perceval la vit soupirer.