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INTRODUCTION

gulier ou au pluriel; elle n’indique plus les genres que par le changement des consonnes initiales muables; elle ne met plus guère qu’au singulier les substantifs précédés des noms de nombre cardinaux ; elle a perdu la faculté précieuse de créer des mots nouveaux, à la manière des Gallois, à l’aide de radicaux anciens et de combinaisons savantes; enfin, elle manque très-souvent de liaisons grammaticales.

Quant à son vocabulaire, s’il est évidemment peu riche, il offre toutefois infiniment moins d’expressions étrangères qu’on pourrait le croire, et le peu de mots qu’il a empruntés au français[1] comme ceux qu’il doit au latin et aux idiomes germaniques avec lesquels il a été en contact immédiat pendant plusieurs siècles, il les a modifiés selon son génie particulier, de manière à se les rendre propres. Cette observation avait frappé Fauriel, et dans son rapport au Comité historique des Monuments écrits, sur les Chants populaires de la Bretagne, il constata que « l’ancienne langue des Bretons y est conservée dans un état de pureté que l’on ne soupçonnait pas[2]. » Augustin Thierry expliquait le fait en disant que « les pauvres et les paysans de la Bretagne ont tenu fidèlement à leur vieille langue nationale, et l’ont conservée à travers les siècles avec la ténacité de mémoire et de volonté qui est propre aux hommes de la race celtique. »

A la ténacité bretonne, comme première raison de la persistance de l’antique idiome à ce singulier degré de pureté, on en peut ajouter une autre tirée de l’histoire même de cet idiome. Le mépris qu’ont affecté pour lui les savants étrangers et même bretons de presque tous les siècles; son état d’isolement, l’oubli profond dont il a été enveloppé, ont opposé autant de barrières aux atteintes des novateurs;

  1. il va sans dire que nous ne parlons ici que du breton tel qu’il existe dans la bouche du peuple des campagnes et dans les poésies populaires.
  2. Séance du 26 mai 1838. Procès verbaux du Comité, p. 27 et 28. Impr. imp.,1850.