Page:Barzaz Breiz 4e edition 1846 vol 1.djvu/24

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auxquels il attachait le plus d’importance : ils lui offraient souvent je ne sais quoi de mystérieux et de sacré qui l’impressionnait d’autant plus qu’il ne les comprenait pas toujours tout entiers ; il voyait au fond une certaine doctrine politique secrète et terrible dont il ne se rendait pas bien compte, mais qu’il entourait, avec la tradition, d’un respect superstitieux. Un vieillard me peignait cette manière de sentir dans le langage naïf et figuré particulier aux hommes des montagnes : comme je lui témoignais mon étonnement pour la réserve qu’il montra à l’époque où je fis sa connaissance : « D’abord, quand on veut prendre le bouvreuil, me répondit-il, il ne faut pas l’effaroucher ; s’il voit l’homme qui siffle, il ne siffle plus, il s’envole. Maintenant je vais vous dire pourquoi il y a des chansons qu’on n’osait pas trop vous chanter ; c’est que plusieurs d’entre elles ont une vertu, voyez-vous : le sang bout, la main tremble, et les fusils frémissent d’eux-mêmes, rien qu’à les entendre ; plusieurs contiennent des mots et des noms qui ont la propriété de mettre l’écume de la rage à la bouche des ennemis des chrétiens, et de faire éclater leurs veines ; quand nous les chantions en marchant contre les Bleus, nous voyions qu’ils les faisaient fringuer, comme de jeunes chevaux qui ont bu du vin de feu mêlé à de la poudre à canon : quand nous les dansions la nuit autour du feu du bivac, dans quelque cour de manoir incendié par les républicains, nous entendions, vous ne croiriez pas ? nous entendions nos fusils, nos bâtons et nos fourches de fer, rangés en faisceaux derrière nous, s’agiter d’eux-mêmes et murmurer comme s’ils eussent été impatientés de rester au repos ; quand nous apprenions ces chants à nos enfants, le soir aux veillées, pour leur donner du cœur, les Bleus avaient vent de la chose, eussent-ils été à vingt lieues, et