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peuple écoute les chanteurs ; ceux de la Bretagne ont tout fait pour mériter ce respect. Leur rôle n’est pas seulement d’amuser et de plaire ; ils ont à remplir une autre et plus grave mission. Ils sont les conservateurs de la langue, des annales populaires, des bonnes mœurs même, des vertus sociales, et, nous osons le dire, un des instruments les plus actifs de la civilisation, si par ce mot l’on veut entendre ce qui est beau, honnête et bien. Cette mission, ils l’ont comprise et remplie à toutes les époques.

Comme les bardes cambriens, leurs frères, ils ont chanté les destinées de leur patrie, ses malheurs et ses espérances ; l’un d’eux fut pris par un chef étranger, qui lui fit crever les yeux et le jeta au fond d’un cachot, où il mourut, victime de son dévouement à la cause de son pays.

Un autre, à qui les ennemis avaient coupé la langue pour l’empêcher d’exciter ses compatriotes au combat, se faisait suivre d’un ménestrel qui chantait, aux accords de la harpe du barde mutilé : « Les Franks lui ont coupé la langue ; mais il a toujours un cœur, un cœur et une main pour décocher la flèche de la mélodie. » Les Bretons alors, étaient gouvernés par des chefs de leur race ; ils répétaient avec leurs poètes nationaux, et leur postérité, au bout de douze siècles, a répété ce cri sublime : On ne meurt jamais trop tôt quand on meurt en faisant son devoir ! » Les grands noms d’Arthur, de Morvan-Lez-Breiz, d’Alain Barbe-Torte, et de Noménoë, offraient, à cette première époque, un beau sujet aux inspirations du barde. Avec leurs successeurs de race étrangère il tombe, et les ménestrels populaires prennent sa place. Mais si la langue d’or est coupée, ces nouveaux poëtes ont toujours le cœur qui bat pour le pays ; ils ont toujours la main qui lance la flèche de la mélodie nationale.